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Cette dernière journée a offert de belles surprises et a permis de boucler en beauté quatre jours riches en imaginaires, alternant entre projections audacieuses, animations ludiques et une cérémonie de remise des prix célébrant la diversité des genres, avec une ambiance détendue malgré l'intensité de certains contenus.
Palmarès 2025
- Prix du public : The Néon People
- Prix Sorcière : Planètes
- Prix du jury jeune : Good Boy
- Prix du jury pro : The Néon People
Le dimanche 19 octobre 2025 a clos la deuxième édition du Festival Mauvais Tours, dédié aux cinémas de l'imaginaire, en proposant une programmation éclectique qui a su marier légèreté festive, découvertes de talents et réflexions profondes. Tout en révélant un palmarès diversifié lors de la cérémonie de clôture aux Cinémas Studio. Cette journée finale était dans la continuité de ce que vous pouvez vivre sur un festival à taille humaine et à l'ambiance conviviale. Le public enthousiaste est toujours prêt à prolonger les échanges autour des films vus.

La matinée a démarré à 12h00 avec « Que ma volonté soit faite » de Julia Kowalski, un film fantastique franco-plononais de 1h35. Ce récit oppressant suit Nawojka, une jeune femme vivant isolée dans une ferme avec son père et ses deux frères immigrés polonais. Un pouvoir monstrueux hérité de sa mère s'éveille en elle, suite au retour d'une femme libre et troublante, au village. Après la projection, des échanges, avec la réalisatrice ont permis d’en apprendre davantage sur les thèmes de désir incontrôlé et de héritage familial maudit, avec des performances habitées par Maria Wróbel et Roxane Mesquida qui ont marqué les esprits par l’intensité de leur prestation.
Lien vers notre chronique du film : lien ici
Pour écouter l'interview de Julia Kowalski :
Pour télécharger l'interview : itw.Julia.Kowalski-19.10.2025.mp3

Après la projection, il y a eu un échange organisé avec Julia Kowalski. Voici un résumé:
Simon : Quel est ton lien avec l'histoire du film ?
Julia Kowalski : Ce n'est pas autobiographique. Mais je suis née en Pologne puis je suis arrivée en France avec ses parents immigrés avec deux grands frères. Mon père avait une sorte de honte de ses origines polonaises.
Il y a aussi la question de savoir ce que c'est être une femme ? Vaste sujet où je n’ai pas encore de réponse. C'est une sorcière, dans une famille. C'est le marasme de ma vie.
Le film a été fait pour 1 000 000 d'euros. C'est ric-rac mais ça se fait.
Simon : Comment on s'organise ?
Julia Kowalski : c'est un travail d'équipe non-stop. Tout le monde était ultracompétent, très proche. Avec seulement 12 personnes sur le plateau. Normal pour un long métrage, c'est 40 personnes. C'est ultrasport avec des doubles postes. Tout le monde travaille ensemble et on se connaît très bien. J'ai porté les projecteurs. C'est un tournage à taille humaine. Tournage en 16 millimètres.
Simon : Cela veut dire changer de pellicule toutes les 12 minutes.
Julia Kowalski : J'ai déjà tourné en pellicule et j'ai aussi tourné en numérique. La pellicule implique d'être beaucoup plus stricte. C'est plus magique aussi, car on sait jamais vraiment ce que cela va donner à l'image lors du développement. Même sur le combo on a des infos, mais la pellicule a aussi son image. Grâce au chef opérateur, je sais ce que ça donne. Mais parfois il y a de la saleté sur la pellicule, ce qui va avec le côté organique du film. Le choix de la pellicule va avec le grain de l’image.
Pour le casting du décor, il y a eu un choix primordial. J'ai visité 63 exploitations agricoles, dont certaines pas loin de Tours. La ferme existe pour de vrai. C'est un casting de la famille en quelque sorte, surtout que les scènes avec les animaux ou la famille d'éleveurs a aidé. Bernard était le 13ᵉ membre de l'équipe. Après c'est le travail du chef décor : la maison de Sandra par exemple, c'est une modification de la façade pour la rendre verte et avoir moins de fenêtres. C'est un pan de décor qui est ajouté sur une maison existante. Pour la chambre de Nav, la maison n'était pas habitée, donc ils ont cassé une cloison, mais après le tournage ils ont refait l'intérieur de la maison. C'était le deal de la location.
Simon : Nav incarne le mystère, comment s'est fait le choix de Maria Wróbel ?
Julia Kowalski : C'est une chance d'avoir Maria qui est une extraordinaire actrice. J'avais une volonté d'ambiguïté dès l'écriture, avec désir sexuel, projection de la mère, incarnation de la liberté. Je voulais laisser au spectateur la possibilité de se faire son propre récit. Au début il y avait plus d'explications sur la famille polonaise, sur l'ex-compagnon de Sandra.
Pour ceux qui ont l'impression que les vaches sont malades : non tout va bien. C'était important de monter ça, les abattages de vaches, tout en défendant la cause animale.
Pour le tournage, c'était un acte vétérinaire qui était programmé pour l'animal, pas pour le film. Cet acte vétérinaire demandait une fouille, la vache devait être endormie mais sur le tournage la vache est restée éveillée. Au montage c'est encore plus fort, en fait, plein d'émotions. Au réveil, la vache a fait de petits sauts. Et pour le veau, c'est du montage.
Simon : Storyboard ?
Julia Kowalski : Pour le choix des angles, c'est vu avec le chef op, qui fait tout en mieux. Le film, c'est comme si c'était un documentaire sur l'exorcisme qui est devenu une fiction. Et il faut faire attention à la caméra pour être à la bonne place pour ne pas être intrusif. J'aime les plans-séquences, ne pas avoir plein de plans, sinon ça devient un clip. Et la pellicule oblige à des choix. Beaucoup de préparations et on casse tout à la fin car tout est hyper préparé, mais on peut changer les axes des caméras et ça rajoute de la vie, même chose pour la direction d'acteur.
Simon : Et la musique ?
Julia Kowalski : c'est familial. Mon frère fait de la musique et je me suis occupée de la flûte traversière,
Il y a une influence western (Clint Eastwood dans L'Homme des hautes plaines) ou pirate.
Pour la séquence sur la virée en pick-up : c'est les grands 8 de Nav, car elle quitte la ferme mais c'est l'enfer, musique doit prendre toute la place au point de couvrir les paroles des acteurs.
Simon : comment s'est déroulé le casting :
Julia Kowalski : pas tous en même temps. Nav a été la première comme j'avais fait un film avec elle avant. Puis le personnage de Sandra a été casté, avec des actrices connues pour ramener du budget, mais c'était pas ce que je voulais. J'ai même casté des filles trans, des actrices porno, des danseuses de la nuit. Puis il y a eu le choix de Roxane Mesquida, qui normalement a une longue chevelure noire dans la vraie vie. L'idée était de la salir. Pour lui faire une crinière filasse, avec une couleur passée de vieux rose et lui rajouter une attelle, pour casser sa grâce. Avec ces chaussures, elle tombait tout le temps dans la boue.
Le casting a pris fin seulement 1 semaine avant le début du tournage. C'est comme un échiquier, car il y a des connexions entre les personnages.
Pour la pellicule : j'étais très contente des rushs, c'est comme un cadeau de Noël. Au début on voit de mauvais scans, et après on voit en haute qualité de ce qui a été choisi. J'adore le côté organique. Et j'ai choisi un film qui n'est pas daté, c'est pour cela qu'il n'y a pas de téléphone portable. C'est entre un souvenir, un cauchemar, une vision. La réalité décalée d'un demi-ton.
Avec de la pellicule, les acteurs sont tout de suite meilleurs. Il n’est pas possible de laisser tourner. Pour la nuit, il faut plus d'éclairage. Pour les extérieurs jour avec la pellicule, c'est très bien. Par comparaison en numérique, il est nécessaire d'avoir beaucoup de projecteurs sur la forêt et un travail sur l'étalonnage même si c'est tourné dans la journée.
Le lien entre l'utilisation de la pellicule et l'histoire racontée, c'est sur le côté organique. . Filmer la nature, c'est pas évident, il y a les insectes, c'est vivant, les sécrétions humaines… la pellicule c'est pareil, c'est vivant.
Simon : Quels ont été tes apprentissages grâce à ce film ?
Julia Kowalski : J'ai été confrontée à des problèmes de films d'action avec l'utilisation du feu, la course en pick-up, les animaux, les armes à feu, les cascades, les scènes d'intimité (qui se font en équipe réduite et avec une coordinatrice spécialisée sur ces scènes).
J'ai été professeur de direction d'acteur, donc les scènes de possession étaient simples pour moi. Mais le feu, la pluie, la boue, les animaux, j'ai beaucoup appris.
Simon : Est-ce que tu avais déjà en tête l'actrice Maria Wróbel lors de l'écriture ?
Julia Kowalski : Le film était déjà écrit (après Cannes en 2016 pour son premier film). Il aurait dû être tourné en 2020, mais avec le covid-19 la boite de prod a fermé. Ensuite le film a été réécrit. Il y a une qualité indispensable pour un réalisateur : la persévérance. À chaque fois, même s'il y a eu des projections au festival de Cannes, c'est quand même dur.
Travail avec les animaux et les dresseurs et les agriculteurs : Bernard, Tiphanie… C'était un accompagnement de la part de la famille d'agriculteurs. Maria a passé une semaine en stage toute seule avec eux. Maria vit à Varsovie, elle a appris les gestes, elle est à l'aise avec les gros animaux. Je viens d'un village similaire en Pologne. Le vert c'est la couleur de la maison de ma grand-mère en Pologne.
La scène avec le veau s'est tournée en micro-équipe. Toffy est une vache qui s'appelle en réalité Casse-couille, qui est prématurée. Elle répond à son nom, elle a été élevée au biberon, elle permettait de convoyer les autres vaches. C'était important d'avoir une équipe qui est respectueuse de l'environnement.
Le film sort le 3 décembre et sera programmé aux studios.
Des références à citer : Jeanne Favret-Saada est chercheuse au CNRS, sur les sorts. Dans ce film, il y a beaucoup de choses réelles. Je me suis toujours intéressée aux courants féministes, wicca. J'ai fait des recherches sur les mots, la mort, les sorts.
J'ai documenté les gelées dans les champs, c'était des rivalités entre voisins, pour faire tourner le lait. Autre exemple réel : le cœur de veau avec les pointes, c'est documenté avec des grimoires, en Corse, en Amérique latine.
J'en avais un étant jeune, car j'ai pratiqué la sorcellerie, pour savoir qui j'étais comme femme. J'ai trouvé un exemplaire du Dragon rouge à Barbes. Le vendeur m'a demandé si je savais ce que je faisais là, juste pour être certain.
J'ai des connaissances en culture maya, aztèque, Maghreb, et par-dessus la religion catholique.
Le titre « Et que ma volonté soit faite » c'est la phrase de fin de tous les rituels de sorcellerie. C'est une réapparition maléfique de la pierre à Dieu.
Et la blonde qui est traitée comme sorcière (attention spoiler si vous surlignez ce passage en noir pour le lire sans avoir vu le film) : elle brûle à la fin du film d'ailleurs.
Questions du public :
Orientation sexuelle de Nav ? C'est non genré. Le désir n’est pas binaire.
On peut voir ce que l’on veut : ça peut être une mythologie familiale. Mais il y a quand même des pistes.
(attention spoiler si vous surlignez ce passage en noir pour le lire sans avoir vu le film) : le sort de Nav à la fin du film fonctionne bien. Quand Nav revient, je voulais qu'elle soit en quelque sorte 2 femmes à la fois.
Tous les acteurs polonais ont appris le français pour le film, avec une coach qui était là aussi pour les accompagner.
En tout, cela a pris 5 mois de travail, dont 25 jours de tournage.
La monteuse et mon frère ont vu les images pendant le tournage et il a composé trois chansons, puis il a refait de la musique selon le montage, mais ça collait trop aux images et au final je suis allée travailler avec lui pour enregistrer de vrais instruments pour que ce soit plus organique.
À 16h00, aux Cinémas Studio, la compétition courts métrages a présenté une sélection éclectique.
détail du programme, chroniques des courts métrages et interviews des deux réalisateurs/trices présents prochainement
Parmi les œuvres projetées, « Mort d’un acteur » d'Ambroise Rateau s'est distingué en remportant le Prix du meilleur court métrage, salué pour sa finesse narrative et son humour absurde autour d'un comédien annoncé mort par erreur.
La soirée continuait avec à 19h00 aux Cinémas Studio, la cérémonie de clôture.
Le palmarès, révélé lors de cette cérémonie, a mis la diversité à l'honneur : The Neon People de Jean-Baptiste Thoret a raflé le Grand Prix du Jury et le Prix du Public de la Ville de Tours pour son regard humain sur les invisibles.
Planètes de Momoko Seto a reçu le Prix de la Sorcière pour son originalité cosmique.
Good Boy de Ben Leonberg a conquis le Prix Jury Jeune pour son hommage émouvant à la loyauté animale.
Mort d’un acteur a été récompensé du Prix du meilleur court métrage
Dernière œuvre projetée : Que ton règne vienne de Mathias Averty, un documentaire français de 90 minutes. Ce film suit un jeune comédien explorant sa part d'ombre via une quête initiatique sur le satanisme en France, des légendes anciennes aux messes noires contemporaines. Nous n’avons pas pu assister à la projection, ayant d’autres engagements musicaux de pris avec la release party du groupe First Draft au Temps Machine.
Cette deuxième édition du Festival Mauvais Tours a été une incontestable réussite, portée par une programmation à la fois variée et toujours parfaitement ancrée dans le vaste territoire des cinémas de l’imaginaire, où animation poétique, documentaire choc, fantastique intimiste et horreur débridée ont cohabité avec une cohérence rare. Entre masterclass inspirantes, invités prestigieux et soirées aussi festives qu’effrayantes, le festival a su fédérer un public fidèle et curieux, confirmant qu’il est déjà devenu un rendez-vous incontournable pour les amoureux de cinéma de l’imaginaire.
La troisième édition est d’ores et déjà annoncée du 15 au 18 octobre 2026.
Grace à une équipe toujours aussi passionnée, Mauvais Tours a devant lui de belles années pour continuer à nous ensorceler. Puisse cette petite sorcière tourangelle grandir encore longtemps et nous réserver, saison après saison, de nouveaux sabbats cinématographiques aussi excitants que celui que nous venons de vivre.