Date de sortie au cinéma : 03.12.2025

 

de Julia Kowalski

Avec Maria Wróbel, Roxane Mesquida, Wojciech Skibinski

Genre : Drame,Epouvante
Nationalité : France
Année de sortie : 2025
Durée : 01h35
Version : Couleur
Public : Interdit -12 ans

 

Avec son deuxième long-métrage, Julia Kowalski s'intéresse aux mécanismes d'oppression qui broient les destins féminins dans l'étau des traditions. Le film, présenté notamment dans le cadre du Festival Mauvais Tours, en avant-première, confirme l'émergence d'une cinéaste capable de conjuguer exigence formelle et puissance émotionnelle, tout en travaillant avec des moyens limités (un million d'euros seulement). Une prouesse qui rappelle que le grand cinéma naît d'abord d'une vision, d'une passion.

L'intrigue nous transporte dans la rudesse d'un village français où Nawajka lutte contre un héritage maudit transmis par sa mère : un pouvoir obscur qui répond à ses émotions les plus enfouies. Entre son père autoritaire, ses frères et le poids des conventions religieuses, mais également rurales, elle tente de contenir cette force par la prière et le renoncement. Jusqu'à ce que Sandra fasse basculer cet équilibre précaire. Cette femme libre, au magnétisme troublant, cristallise immédiatement les tensions du hameau et réveille chez Nawajka des désirs de liberté, trop longtemps réprimés.

Ce qui aurait pu rester un simple récit fantastique se transforme sous la caméra de Julia Kowalski en réflexion sociale. Le film interroge frontalement la condition des femmes dans les sociétés patriarcales, là où les normes ancestrales étouffent toute velléité d'émancipation. Cet angle d'attaque n'est jamais didactique : le sujet affleure naturellement du récit, porté par une atmosphère qui fait du petit village lui-même une entité oppressante.

Le choix de la pellicule 16 mm s'avère déterminant. Chaque plan possède une texture organique, presque tactile, qui ancre le fantastique dans une réalité physique. L'image révèle des teintes terreuses, des gris humides, une lumière qui semble suinter à travers les nuages bas. Cette approche artisanale s'étend aux effets : pas de surenchère numérique, mais des solutions pratiques : maquillages, prothèses, décors minutieusement travaillés, qui donnent au surnaturel une présence concrète.

La ferme dans laquelle se déroule l'essentiel de l'action devient un espace symbolique, chargé d'une pesanteur qui va crescendo. Les vaches qui errent, les outils rouillés, les champignons toxiques dans les champs : autant d'éléments qui tissent un réseau de signes évocateurs. La bande sonore prolonge cette immersion avec des compositions qui mêlent inspirations folkloriques et sonorités contemporaines, tandis que le silence, utilisé avec parcimonie, amplifie les moments de tension.

La direction d'acteurs que Julia Kowalski est un autre de ses talents. Maria Wróbel compose une Nawajka déchirée, oscillant entre ferveur religieuse et pulsions qu'elle ne peut nommer. Roxane Mesquida, en Sandra, incarne une liberté provocante qui électrise chaque scène. Leur relation évolue avec une justesse troublante, passant de la curiosité à l'attirance, puis à la confrontation. Wojciech Skibinski, en figure paternelle rigide, complète ce trio avec une autorité qui ne verse jamais dans la caricature, en ce qu'il garde toujours une certaine tendresse envers sa fille.

Nous assistons à des performances fortes : ces interprètes habitent leurs personnages avec une conviction totale. Leurs joies fugitives, leurs angoisses, leurs frustrations accumulées, tout cela nous atteint directement, comme si nous partagions leur quotidien. Cette proximité constitue l'une des forces majeures du film. Vous n'observez pas ces destins de l'extérieur : vous les vivez de l'intérieur. Tout cela grâce aux choix de réalisation de Julia Kowalski qui trouve toujours la bonne distance pour poser sa caméra.

Que ma volonté soit faite réconcilie deux publics souvent distincts. Les amateurs de fantastique y trouveront une œuvre qui respecte les codes du genre avec une montée progressive de l'angoisse, basculement dans le surnaturel. Ceux qui préfèrent le cinéma d'auteur y découvriront une proposition esthétique affirmée et une profondeur thématique rare sur la vie rurale.

La mise en scène privilégie la fluidité : mouvements de caméra souples, alternance entre contemplation et accélérations brutales, grâce à un montage soigné. Julia Kowalski construit une tension qui repose sur une inquiétude diffuse, celle qui naît quand les refoulements individuels et collectifs menacent d'exploser.

Cette réussite prouve qu'avec une vision claire et une équipe technique engagée, les contraintes budgétaires deviennent des atouts. Chaque choix artistique semble dicté par la nécessité narrative plutôt que par les effets spectaculaires. Le résultat possède une authenticité à saluer.

Voilà un film qui utilise les ressorts du fantastique et qui les détourne pour étudier nos sociétés et leurs violences latentes. Julia Kowalski signe une œuvre intense, habitée, qui vous hante bien après le générique. Que ma volonté soit faite vous donnera envie de suivre le parcours de Julia Kowalski avec attention. Une expérience cinématographique qui démontre, une fois encore, que l'audace et le talent paient.

Tiphaine et Xavier

 

Pour en savoir davantage sur le film et sur Julia Kowalski : notre compte rendu du Festival Mauvais Tours, avec l'interview de Julia Kowalski et les questions/réponses d'après projection : lien ici