
Date de sortie en salle : 29.10.2025
https://youtu.be/iyGM4LdNJEk?si=HqhMqu7JBZPO1lQF
Réalisation : David Tomaszewski
Scénaristes : Orelsan, David Tomaszewski
Casting : Orelsan, Clara Choï, Alice Yanagida
Film vu en avant première dans le cadre du festival Mauvais Tours 2025 : notre compte rendu du festival : mauvais-tours-2025-jour-3
L'armure qui réveille les esprits endormis
David Tomaszewski signe avec Yoroï un coup de maître inattendu. Orelsan (Aurélien) et Clara Choï (Nanako) se retrouvent entrainés dans une aventure qui défie toute logique apparente : le rappeur, incarnant sa propre personne, s'exile au Japon et se retrouve propulsé malgré lui dans un combat ancestral contre des yōkai après avoir revêtu une armure légendaire. Ce pari insensé aurait pu chavirer dans l'absurde, mais le scénario de David Tomaszewski et Orelsan transforme cette idée audacieuse en une expérience cinématographique qui réconcilie divertissement pur et regard acéré sur notre époque.
Le folklore comme miroir de nos aliénations modernes
Yoroï s'approprie la mythologie japonaise des yōkai sans jamais tomber dans le pastiche ou l'exotisme de façade. Ces créatures ancestrales, esprits malicieux et entités surnaturelles du folklore nippon, deviennent sous la caméra de David Tomaszewski bien plus que de simples adversaires fantastiques. Elles incarnent les symptômes visibles d'un mal contemporain : notre aliénation face aux écrans, notre solitude dans l'hyperconnexion, cette fracture entre l'apparence de nos vies numériques et la réalité de nos existences.
Le réalisateur tisse, en toile de fond, une critique sociale avec une intelligence remarquable, préférant la suggestion à la démonstration frontale. Les combats contre ces esprits se transforment en métaphores visuelles saisissantes, où chaque affrontement révèle une vérité sur notre rapport maladif à la technologie. L'armure ancestrale que revêt Aurélien devient alors un symbole puissant : pour combattre les maux du présent, il faut peut-être se reconnecter à quelque chose de plus ancien, de plus authentique.
Une authenticité désarmante au service de l'amitié
Orelsan porte le film avec une présence naturelle qui désarme. Son autodérision apporte une fraîcheur bienvenue. Le rappeur incarne un homme ordinaire, dépassé par les événements, et c'est précisément cette vulnérabilité qui rend son parcours touchant. Les dialogues, nerveux et justes, évitent l'écueil de la surenchère comique pour privilégier des échanges qui sonnent vrai.
Yoroï brille surtout dans sa célébration de l'amitié comme rempart contre l'isolement moderne. Les liens qui se nouent entre Aurélien et ses compagnons d'infortune constituent le véritable cœur du récit. Ces amitiés, nées dans l'urgence du danger, évoluent vers une fraternité profonde qui contraste magnifiquement avec la solitude digitale dénoncée par le film. David Tomaszewski montre avec finesse que la réelle connexion ne passe pas par les écrans, mais par le partage d'expériences communes, le rire complice, le danger affronté ensemble.
Un spectacle visuel
Sur le plan formel, Yoroï impressionne par sa maîtrise technique. Les effets spéciaux, remarquablement intégrés, donnent corps aux créatures mythologiques sans jamais basculer dans la surenchère gratuite. Chaque yōkai possède sa propre identité visuelle, terrifiant et fascinant à la fois.
La bande sonore mérite une mention particulière : elle marie instruments traditionnels et compositions électroniques dans une synergie qui épouse parfaitement le propos du film. Cette fusion musicale reflète le choc des époques au cœur du récit, créant une identité sonore distinctive qui accompagne les séquences d'action avec une énergie communicative.
Le montage dynamique alterne avec intelligence moments contemplatifs et explosions d'action chorégraphiée. David Tomaszewski sait ménager des respirations dans son film, permettant aux enjeux émotionnels de résonner pleinement avant de replonger dans le spectacle. Cette alternance maintient une tension narrative efficace tout en laissant place à des moments de grâce visuelle qui marquent.
Une proposition singulière en 2025
Yoroï s'impose comme une œuvre qui réconcilie exigence et accessibilité. David Tomaszewski prouve qu'un film d'action fantastique peut porter un regard critique sur notre société sans sacrifier son pouvoir de divertissement. Le film interroge notre rapport addictif à la technologie, notre difficulté à créer du lien authentique, notre tendance à privilégier l'apparence virtuelle sur la substance réelle. Et ce, tout en nous offrant un spectacle généreux, drôle et visuellement captivant.
Cette capacité à marier fond et forme, réflexion et plaisir immédiat, fait de Yoroï une proposition rare dans le paysage cinématographique francophone. Le film réussit le pari difficile de respecter la mythologie qu'il convoque tout en la réinventant pour parler à un très large public. Il célèbre l'amitié véritable comme antidote à notre solitude connectée, transformant une simple aventure fantastique en fable moderne sur la nécessité de retrouver du sens dans un monde saturé de stimulations vides.
Tiphaine et Xavier