Date de sortie au cinéma : 05.02025
Distribution : Warner Bros
Durée : 2h 17min
Résumé : une dystopie glaçante où Robert Pattinson brille en clone sacrifiable. Entre esthétique saisissante et satire sociale, le film questionne l’humanité à l’ère du capitalisme dévorant.
QUAND L'HOMME DEVIENT REMPLAÇABLE
Dans un paysage cinématographique saturé de dystopies, Mickey 17 est une proposition singulière et intéressante. Ce film de science-fiction teinté d'humour noir, signé par le réalisateur Bong Joon Ho (Parasite). Adaptation du roman Mickey7 d'Edward Ashton, le long-métrage nous plonge dans un futur dans lequel l'humanité, fuyant une Terre épuisée, tente de coloniser Niflheim, une planète inhospitalière et glacée. Mickey Barnes, interprété par Robert Pattinson, occupe l’emploi de "remplaçable" : un homme destiné à mourir et à être cloné indéfiniment pour accomplir les missions les plus périlleuses, être un sujet d’expérience, etc.
Mickey 17 questionne sur l'identité humaine à l'heure du clonage, critique les structures autoritaires et aborde le sujet de l'exploitation économique des personnes les plus pauvres. Le premier constat qui s'impose face à Mickey 17 est la puissance de son esthétique visuelle.
La direction de la photographie crée un contraste saisissant entre l'environnement claustrophobique du vaisseau colonial, avec ses tuyaux apparents et ses lumières froides, et les étendues infinies de Niflheim, planète hostile dont la beauté cristalline et froide n'a d'égale que sa dangerosité. Cela fait écho à la structure sociale rigide de l'expédition: les quartiers luxueux des dirigeants s'opposent aux espaces austères réservés aux travailleurs, reflétant à l’image les inégalités au cœur de l’histoire. Les séquences de "réimpression" de Mickey mêlent l'organique à la mécanique dans une chorégraphie macabre qui évoque autant l'horreur corporelle que la déshumanisation industrielle.
Cette machine à cloner, baptisée "imprimante humaine", devient un symbole puissant de l'instrumentalisation du corps. Un mélange de références médicales et de processus industriels dans un ensemble visuellement hypnotique et aseptisé.
Sur Niflheim, vous allez découvrir les "Rampants", créatures autochtones, qui représentent une autre réussite visuelle du film. Mi-cloportes, mi-tardigrade, avec un œil d’éléphant, ces entités offrent une vision qui renforce la tension à chaque apparition. Leur conception s'inscrit dans une tradition d'étrangeté contrôlée qui caractérise le cinéma de Bong Joon Ho.
Quelle performance de Robert Pattinson. L'acteur britannique relève le défi considérable d'incarner plusieurs itérations du même personnage avec finesse. Il différencie subtilement Mickey 17 et Mickey 18 à travers des variations physiques et vocales qui vont bien au-delà du simple artifice. Mickey 17 se caractérise par une vulnérabilité touchante, une voix plus fluette et une posture soumise qui contraste avec l'assurance agressive et la voix rauque de Mickey 18. Cette dualité s'exprime jusque dans la gestuelle : là où Mickey 17 semble perpétuellement sur la défensive, Mickey 18 occupe l'espace avec une rage contenue qui traduit son refus d'accepter son statut de simple outil jetable.
L'acteur parvient également à insuffler un humour inattendu dans des situations souvent macabres. Les scènes de mort répétées de Mickey sont abordées avec un mélange d'absurdité et de résignation qui provoque un rire grinçant. Ce sens du timing comique ajoute une dimension supplémentaire au personnage.
Robert Pattinson excelle dans la représentation de l'évolution psychologique de Mickey au fil du récit. Le personnage passe progressivement d'une résignation fataliste à une prise de conscience politique qui culmine dans sa révolte existentielle.
Les premiers Mickey acceptent leur sort avec une passivité dérangeante, intériorisant leur statut d'êtres sacrifiables jusqu'à se percevoir eux-mêmes comme des consommables. Robert Pattinson traduit cette déshumanisation par un regard vide et des mouvements mécaniques qui s'humanisent graduellement au contact de Nasha (Naomi Ackie). Cette relation amoureuse devient le catalyseur d'une transformation profonde, insufflant à Mickey une volonté de survie qui dépasse sa condition initiale.
La coexistence de Mickey 17 et Mickey 18 marque un tournant décisif, permettant à Robert Pattinson d'explorer la confrontation du personnage avec lui-même dans une mise en abyme identitaire fascinante. Les scènes dans lesquelles les deux versions interagissent comptent parmi les plus puissantes du film, jouant sur les contrastes et les similitudes pour interroger la nature même de l'identité. Cette dualité physique devient la manifestation concrète du conflit intérieur qui habite Mickey : accepter son sort ou défier le système qui le condamne à une existence jetable.
Une dystopie politique entre satire et dénonciation : Mickey 17 s'inscrit dans une tradition cinématographique qui utilise la science-fiction comme véhicule d'une critique sociale acérée. Le film dépeint une société future où l'exploitation économique atteint son paroxysme à travers le concept même des "remplaçables" : ces individus endettés, contraints d'accepter une existence de sacrifices perpétuels pour le bien de leurs congénères.
Cette métaphore transparente de l'exploitation capitaliste se double d'une satire politique incarnée par le couple au pouvoir. Kenneth Marshall, interprété par Mark Ruffalo avec une exubérance calculée, incarne un leader populiste et autoritaire dont la rhétorique évoque des figures politiques contemporaines. Sa femme Ylfa, campée par Toni Collette, complète ce tableau du pouvoir corrompu par une excentricité qui symbolise le détachement de l'élite face aux souffrances quotidiennes des travailleurs.
Cette représentation caricaturale du pouvoir, sert un propos plus large sur les mécanismes de contrôle social et la façon dont les régimes autoritaires manipulent la vérité pour maintenir leur emprise. Les discours enflammés de Kenneth Marshall sur la nécessité du sacrifice pour le bien commun, alors même qu'il vit dans un luxe ostentatoire, résonnent comme une critique des inégalités structurelles qui caractérisent nos sociétés contemporaines.
Au-delà de sa dimension politique, Mickey 17 explore aussi le processus de déshumanisation inhérent aux structures bureaucratiques et technologiques. Le système de clonage représente l'ultime étape d'un capitalisme qui réduit l'humain à sa fonction productive, le rendant littéralement remplaçable à volonté.
L’amour comme ancrage humaniste : la relation entre Mickey et Nasha constitue le contrepoint émotionnel à la froideur dystopique du récit principal. Interprétée avec conviction par Naomi Ackie, Nasha incarne une force tranquille et déterminée qui révèle progressivement à Mickey la possibilité d'une existence digne, au-delà de son statut de sacrifiable.
Leur romance, qui se développe initialement avec Mickey 17 avant de se complexifier avec l'arrivée de Mickey 18, pose la question fascinante de la continuité de l'amour face à la multiplicité de l'être aimé. Les scènes où Nasha doit négocier ses sentiments entre les deux versions de Mickey offrent des moments tout en nuances du film, explorant la nature même de l'attachement affectif : aime-t-on une personne pour son histoire partagée ou pour son essence fondamentale ?
Cette relation amoureuse devient un vecteur d'une réflexion sur l'humanité résiduelle dans un monde qui tend à la nier. Chaque geste tendre, chaque regard échangé devient un acte de résistance contre un système qui réduit les individus à leur utilité immédiate.
Amitiés ambiguës et trahisons : la relation entre Mickey et Timo, interprétée avec une ambiguïté maîtrisée par Steven Yeun, constitue un autre axe relationnel. Cette amitié teintée d'opportunisme et parfois de trahison illustre la façon dont les systèmes oppressifs parviennent à corrompre même les liens personnels les plus fondamentaux.
Timo, navigant entre loyauté amicale et obéissance au système, incarne les compromissions morales auxquelles sont confrontés ceux qui occupent des positions intermédiaires dans les hiérarchies des sociétés exploitantes. Son parcours parallèle à celui de Mickey offre un contraste éclairant sur les différentes stratégies d'adaptation face à l'injustice institutionnalisée : là où Mickey évolue vers la révolte, Timo choisit l'accommodement, jusqu'à un point de rupture qui révèle la fragilité morale de sa position.
Cette dynamique complexe entre conformisme et résistance traverse l'ensemble des relations dépeintes dans le film, suggérant que chaque interaction humaine devient un microcosme politique lorsque le cadre social est fondamentalement injuste.
Dans Mickey 17 vous retrouvez l'habileté du cinéaste à entremêler comédie et tragédie, à utiliser l'absurde comme révélateur des dysfonctionnements sociaux, et à concevoir des métaphores visuelles puissantes qui transcendent les barrières culturelles.
La séquence finale, qui combine action spectaculaire et méditation philosophique sur la valeur de l'existence individuelle, porte la signature reconnaissable d'un créateur qui refuse de sacrifier la profondeur intellectuelle sur l'autel du divertissement de masse. Cette conclusion ambivalente, qui évite les résolutions simplistes, vous invite à prolonger la réflexion au-delà du générique de fin.
Mickey 17 est un film stimulant qui enrichit le paysage de la science-fiction contemporaine. Son exploration des thèmes de l'identité, de l'exploitation et de la résistance, portée par la performance remarquable de Robert Pattinson, offre une expérience viscérale qui résonne avec les anxiétés de notre époque.
Le film crée un univers cohérent et visuellement saisissant où les questions éthiques et politiques s'incarnent dans des personnages complexes. La multiplicité de Mickey devient ainsi une métaphore puissante de nos identités fragmentées à l'ère numérique et de notre recherche collective d'authenticité dans un monde qui tend à nous rendre interchangeables.
Mickey 17 nous fait rire de l'absurdité de notre condition tout en nous invitant à en questionner les fondements.
Xavier