Réalisation : Emma Benestan
Scénario : Emma BenestanJulie Debiton
Casting principal : Oulaya Amamra, Damien Rebattel, Vivien Rodriguez
Durée : 1h 38min
Animale, le second long-métrage d'Emma Benestan, présenté lors de la Semaine de la Critique à Cannes 2024, mêle fantastique, drame social et le folklore de la Camargue. Le film explore l’histoire de Nejma, interprétée par Oulaya Amamra, qui aspire à s'imposer dans un univers de gardians dominé par les hommes. Alors qu'elle poursuit son rêve de gagner la compétition annuelle des courses de taureaux, plusieurs disparitions mystérieuses surviennent, éveillant des rumeurs sur la présence d’une bête sauvage rôdant dans les environs.
Le jeu des acteurs est l'un des points forts du film, notamment Oulaya Amamra, qui incarne avec force et subtilité une jeune femme déterminée et en quête de liberté dans une société encore régie par des traditions masculines. Les performances d'Elies-Morgan Admi-Bensellam et Vivien Rodriguez viennent compléter un casting solide, bien que certaines interactions manquent parfois de fluidité, donnant un côté légèrement artificiel à certaines scènes. L'esthétique du film est envoûtante, en grande partie grâce au travail du directeur de la photographie Ruben Impens, connu pour son travail sur Titane. Les vastes paysages de la Camargue sont magnifiés, créant une atmosphère presque mystique, renforçant l'immersion dans cet univers où la frontière entre le réel et le fantastique est subtilement explorée.
L’une des thématiques centrales du film est l’intégration d’une femme dans un univers traditionnellement masculin. Nejma doit faire face à de nombreuses barrières, souvent implicites, qui freinent son ascension. Les relations qu’elle développe avec ses homologues masculins reflètent ce conflit entre tradition et modernité. Bien qu’elle soit acceptée comme une gardiane à part entière, son parcours est semé d’embûches symboliques, des regards désapprobateurs à l’opposition plus franche de certains. La dynamique entre Nejma et ses pairs souligne la tension entre les rôles de genre dans un monde régi par la force physique et l’autorité masculine, un cadre qu’Emma Benestan n’hésite pas à déconstruire.
Les relations entre les hommes et les taureaux, quant à elles, sont empreintes de respect et de fascination. Le film montre bien que ces courses de taureaux sont bien plus qu’un simple sport ou spectacle ; elles représentent un rituel ancré dans les traditions, où l’agilité et le courage sont mis à l’épreuve. Les taureaux, loin d’être des bêtes à abattre, sont considérés comme des adversaires dignes, presque sacrés. Cette relation ambiguë, entre combat et admiration, donne une profondeur supplémentaire au récit et aux enjeux de la compétition. Cependant, le mystère entourant la bête sauvage qui rôde dans la Camargue vient ajouter une dimension plus sombre et symbolique à cette relation homme-animal. Et quand il s’agit de trouver un bouc émissaire, alors le taureau ne redevient qu'un simple animal au service de l’homme. Il peut être sacrifié sans remords.
Les paysages de la Camargue jouent un rôle primordial dans l’ambiance du film. Les vastes étendues de terres marécageuses, les couchers de soleil sur les prairies et les scènes de cavalcades à travers les plaines offrent un décor à la fois majestueux et sauvage. Ces paysages ne sont pas seulement un fond visuel ; ils viennent renforcer l’idée d’un territoire sur lequel l’humain tente encore de dompter une nature sauvage et ancestrale. La beauté de ces scènes, parfaitement capturées par la caméra, accentue l’atmosphère onirique du film et participe à cette alchimie subtile entre le fantastique et le réel.
Si l’intrigue du film joue avec les thèmes de trahison, de communauté et de rébellion, quelques aspects du scénario auraient gagné à rester plus mystérieux. Les raisons de la vengeance, par exemple, sont révélées de manière un peu trop explicite, brisant le suspense et diminuant l’impact du récit. De même, l’esprit de la culture des gardians aurait pu être encore mieux exploité pour renforcer l'idée de clan qui structure la société camarguaise.
Le côté fantastique est traité avec une retenue qui permet au film d’éviter de sombrer dans l’horreur gratuite. Le choix d’Emma Benestan de rester dans une ambiance suggestive et esthétique, plutôt que de céder à la surenchère visuelle, renforce la dimension poétique du film. Cette approche mesurée contribue à maintenir un ton à la fois réaliste et onirique, avec des touches surnaturelles qui viennent nourrir l’imaginaire sans jamais l’envahir.
Animale présente des idées intéressantes et témoigne du très bon potentiel d’Emma Benestan et de son équipe. Si certains points de l’intrigue mériteraient d’être retravaillés pour gagner en profondeur, le film à voir, sans hésiter, pour son propos, son regard sur la société, son traitement du choc des cultures. Toute l’équipe est prometteuse, avec des talents, tant devant que derrière la caméra. Tous sont à suivre dans leurs futurs projets.
Film vu dans le cadre du festival Mauvais Tours
Lien compte rendu Festival Mauvais Tours Samedi : lien ici