Date de parution : 09.10.2024
Editeur : Bragelonne

 
Nombre de pages 384
ISBN 979-10-281-1923-2
 

Alan Moore, né en 1953 à Northampton, est une figure incontournable de la culture contemporaine. Scénariste de bande dessinée révolutionnaire (Watchmen, V pour Vendetta, From Hell), romancier expérimental (Jérusalem), et occultiste, il a redéfini les frontières du fantastique et du politique dans la fiction. Issu d’un milieu ouvrier, il a forgé son art dans les fanzines underground avant de conquérir l’industrie des comics avec des récits adultes et subversifs. Ses œuvres, couronnées par des prix prestigieux (Hugo, Eisner), explorent l’ésotérisme, l’anarchisme et les strates cachées de l’histoire, marquant des générations de lecteurs. 

Une porte vers l’inconnu : Londres, 1949. Dennis Knuckleyard, jeune employé désargenté d’une librairie d’occasion, mène une existence terne jusqu’à ce que sa patronne, Ada Benson alias Ada Crevarde, l’envoie récupérer des ouvrages rares chez un bibliophile. Parmi eux, Une promenade dans Londres. Méditations dans les rues de la métropole du révérend Thomas Hampole, un livre qui ne devrait pas exister, car il est issu d’un roman ! Comment cet objet fictif s’est-il matérialisé ? La réponse se trouve dans le Grand Quand, un Londres parallèle où le temps se dissout et où les époques coexistent. Pour survivre, Dennis devra traverser cette réalité alternative, peuplée de gangsters, de sorciers et de concepts incarnés. 

Des personnages : entre ombre et lumière

- Dennis Knuckleyard : anti-héros malchanceux, naïf, mais tenace, il incarne l’homme ordinaire confronté à l’extraordinaire. Son parcours initiatique révèle une vulnérabilité touchante, mêlée à une curiosité téméraire. 

- Grace Shilling : prostituée érudite, amatrice de littérature, elle devient l’alliée ambiguë de Dennis. Son pragmatisme masque une profonde mélancolie, reflétant les contradictions du Londres d’après-guerre. 

- Ana Crevarde : libraire énigmatique, ses phrases saccadées et sa paranoïa ajoutent une touche de grotesque inquiétant. Elle symbolise les gardiens des secrets littéraires. 

- Le Prince Monolulu : pronostiqueur de courses hippiques se prétendant prince abyssin, il incarne le charlatanisme et la survivance des mythes urbains. Son humour noir contrebalance les tensions narratives. 

- Jack Spot : truand impitoyable, il incarne la violence brute des bas-fonds. Son rasoir tranchant et sa quête de pouvoir rappellent les romans noirs. 

 

Le Grand Quand est un roman envoûtant, où Alan Moore déploie toute la richesse de son imagination. Les basculements entre le Londres historique et son double occulte se font avec une fluidité remarquable, créant un vertige spatio-temporel qui captive à chaque page. Le Londres parallèle surprend par sa densité, par sa matérialité et sa crédibilité : les ruines du Blitz côtoient des entités conceptuelles et les rues deviennent des labyrinthes métaphoriques. Ce monde, à la fois déconcertant, fascinant et dangereux, rappelle l’influence de Lewis Carroll, tout en s’ancrant dans une critique sociale acerbe de l’Angleterre postcoloniale. 

Les personnages, ni tout blanc ni tout noir, évitent les clichés. Dennis, malgré sa naïveté, gagne en épaisseur au fil des épreuves, tandis que les personnages secondaires ajoutent des nuances philosophiques et politiques. Les références littéraires et historiques sont nombreuses, notamment les clins d’œil à Orwell ou Platon. Elles témoignent d’une écriture de connaisseur et de virtuose, où chaque détail sert un univers cohérent. 

Les descriptions renforcent l’immersion dans ce Londres hybride. Les scènes, mêlant violence et onirisme, rappellent le génie graphique de l’auteur, transposé ici en prose. 
Le Grand Quand baigne dans une atmosphère à la fois poétique et oppressante, typique du Londres de 1949, encore meurtri par les stigmates du Blitz. Alan Moore restitue avec une précision historique teintée de mélancolie une ville en convalescence, où les ruines fumantes côtoient les espoirs étouffés. Les références à Orwell et d’autres ajoutent une tension digne des romans noirs, où chaque recoin semble habité par des fantômes, qu’ils soient historiques ou littéraires. Cette ambiance crépusculaire, renforcée par des dialogues ciselés et des descriptions chargées de symboles, instaure un réalisme magique sombre. Vous êtes littéralement transportés dans une époque à la fois tangible et fantasmée. 

Ce Londres parallèle imaginé par Alan Moore est une prouesse d’inventivité surréaliste, où le réel se dissout dans un kaléidoscope de possibles. Dans Le Grand Quand, le temps n’est plus linéaire : les époques se superposent, les rues se métamorphosent en crocodiles, et des concepts abstraits prennent forme humaine, évoquant les expérimentations visuelles de Dali ou Magritte. Les passages en italique, écrits au présent, vous plongent dans un flux chaotique où les frontières entre rêve et réalité s’estompent, créant une dissonance vertigineuse. Les « trottoirs-crocodiles » et les « libellules en papier argenté » ne sont que les prémices d’un bestiaire symbolique. Cet autre Londres devient un espace psychédélique où l’architecture elle-même est un langage, et où chaque détail participe à une mythologie urbaine débridée. Alan Moore offrant ainsi une vision du surréalisme qui défie autant qu’elle fascine.

Avec Le Grand Quand, Alan Moore confirme son statut de maître de l’imaginaire. Ce premier tome, séduira autant les fans de ses comics que les amateurs de littérature fantastique. Entre roman noir, fantasy urbaine et métaphysique, le livre captive par son ambition et son style. Un ouvrage à savourer lentement, comme on explore un rêve ou un cauchemar, dont personne ne sort pas indemne. 

 

 Xavier