
Date de sortie : 03.10.2025
Label : Autoproduction
Line-up :
Hélène Ruzic (chant/paroles)
Benjamin Racine (guitares, basses, synthétiseurs, percussions, kayamb, xaphoon, bouzouki, piano)
Maxime Keller (basses, synthétiseurs, piano préparé)
David l’Huillier (batterie, percussions)
Tracklist :
1. The Birth Of Venus
2. Digging For Blood
3. Lotis
4. Sisyphus in Red
5. The Fountain of Helicon
6. Pearls Beneath the Ember
7. L’Onde et l’Abysse
8. Where the Diamond are Hurl
9. Sisters of the Coven
10. Under The Skin
11. When Beauty is a Crime
12. Virginia’s Mirror
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https://iitwoeyes.bandcamp.com/album/apostles-of-the-flesh
Apostles of the Flesh, c’est une messe noire qui vous colle à la peau, un sabbat de 65 minutes où la chair palpite, saigne et finit par brûler vive sous vos yeux écarquillés.
Dès les premières secondes, tout est là. L’air est lourd, chargé d’encens et de sueur. Les batteries de David L’Huillier cognent comme un cœur possédé, le kayamb grésille, les guitares de Benjamin Racine lacèrent l’espace avec précision. Hélène Ruzic plane au-dessus, voix de cristal qui se brise en éclats quand il faut. Maxime Keller fait gronder sa basse et ses synthés comme un volcan. Cet album sent la pluie, la nuit sans fin où les démons sortent enfin.
Benjamin déclare : « une image m’a frappé quand on était en vacances à Munich l’an dernier. Quand je fais le distinguo entre les deux albums, je pense que le premier est une cathédrale gothique, avec des angles droits, des pierres très sombres, des angles saillants. Quelque chose de massif, où le marbre est froid et fait mal au pied. Mais ce nouvel album ressemble plutôt à une église baroque comme l’Asamkirche au centre de Munich. On y retrouve des frises, des moulures, des dorures, des bas-reliefs dans tous les sens. C’est putain de beau et magnifique. La facette obscure est là, tout comme beaucoup de lumière. Tous les détails et toutes les dorures renvoient quelque chose de moins massif et anguleux que le style gothique. C’est beaucoup plus raffiné, et on a un peu abordé l’album de cette manière. »
The Birth of Venus ouvre le rituel : un groove tribal presque dansant, des riffs qui griffent, une voix qui murmure avant de vous noyer dans une vague de désir sale et sacré.
Digging for Blood est obsédant : on creuse, on saigne, on continue, comme dans une prière. Le sang devient vérité, la douleur devient une lumière aveuglante. L'automutilation comme quête désespérée de vérité et de purification.
Lotis explose tout : c’est la tempête, la rage qui casse les chaînes et les illusions de l’amour, la pluie qui lave les larmes et réveille la fureur intérieure. Avec ce son qui claque comme des coups de fouet, la voix hurle, vous en sortez trempé et vivant.
Sisyphus in Red est une marche lente, le rocher qui redescend et qu’on remonte quand même. La guitare est lourde comme une enclume, puis soudain l’air s’ouvre, fragile. On souffre, on aime ça. Il y a une rédemption par l’effort.
The Fountain of Helicon ambiance aquatique. L’inspiration créatrice a disparu, laissant place à un désert intérieur où les muses se taisent. Le narrateur implore un réveil divin pour ramener la poésie. Les percussions montent crescendo, menant à un climax où la batterie vous jette dans un précipice, avec ce cri déchirant, puis le calme.
Pearls beneath the Embers est un moment délicat : avec les instruments à cordes qui vous font planer et la voix éthérée d’Hélène. Les percussions qui craquent, hypnotiques. Entre foi, sacrifice et quête de délivrance, les paroles évoquent un chemin spirituel chaotique où l’on brûle les illusions pour atteindre une vérité intérieure. On sacrifie tout pour faire naître quelque chose de pur.
L’Onde et l’Abysse, en français déclamé, est le cœur battant à nu, avec cette basse lourde qui résonne et la voix d’Hélène. C’est une plongée dans le noir total avant de crever la surface. Hélène l’a écrit en une nuit d’insomnie, seule face à l’abîme. C’est une libération psychique, une confrontation aux traumas, avec des métaphores aquatiques de la guérison.
Where the Diamonds are Hurled fait tourner la tête : le narrateur traverse un monde hostile où la paix s’effondre, la compassion disparaît et l’espoir se bat pour survivre dans le chaos. Vous serez confronté à un effritement moral, une lutte pour la lumière dans un univers oppressant, au milieu de nappes de sons frénétiques qui vous assaillent sans relâche, avec un chant déchirant.
Sisters of the Coven vous emmène aux côtés de sorcières sous la lune froide, sabbat vengeur. Un titre très industriel et envoutant qui vous emmène dans une transe collective.
Under the Skin parle de la dichotomie entre apparence et vérité intérieure, l'acceptation rédemptrice de la souffrance physique et émotionnelle comme chemin vers l'authenticité. Cette chanson explore le corps comme un voile qui masque une réalité plus profonde, transformant la douleur en dignité. C'est une réflexion sur le regard des autres qui ne voit que la surface, et sur le courage de porter un fardeau invisible tout en poursuivant l'amour et l'espoir, même au prix du sacrifice personnel.
When Beauty is a Crime dure presque neuf minutes et serre la gorge tout du long : la beauté est un crime, on la lapide, on la salit, on la regarde crever lentement. C’est sur un tempo imperturbable que vous avancez, c’est cruel, c’est magnifique. Cela vous prend par les tripes et vous oblige à voir ces normes oppressives qui transforment l'existence en culpabilité perpétuelle, où être différent, beau ou simplement vivant constitue une transgression. C'est une dénonciation de la violence exercée contre ceux qui ne correspondent pas aux standards imposés, que ce soit physique, identitaire ou esthétique. La honte devient arme de contrôle social, et la beauté authentique est punie plutôt que célébrée. Un cri contre les systèmes qui jugent, condamnent et détruisent ce qui devrait être honoré. Avec un silence de quelques secondes au milieu du titre, pour marquer la rupture, avant de repartir, toujours avec cette batterie intraitable et les instruments à cordes, qui se mélangent aux machines.
Virginia’s Mirror referme le cercle : tout devient calme. La quête de paix à travers la dissolution et l'acceptation de la fin. Le titre explore le passage du tumulte vers l'apaisement salvateur, où prophéties et peurs s'effacent. Le miroir de Virginia symbolise une vérité fragmentée jamais pleinement vécue. La descente dans l'eau évoque un retour aux origines et une immersion cathartique qui clôt l'album sur l'abandon comme forme de délivrance. On coule enfin, et c’est doux.
Hélène explique le choix du titre de l’album Apostles of the Flesh (Apôtres de la chair) de cette façon : « c’était surtout vrai avec Extinction, mais on a un certain attrait pour les apôtres et autres icônes religieuses. Tout ce qui touche à la spiritualité nous inspire. La chaire est pour sa part liée au corps, sujet très cher à nos yeux. On a beau avoir un peu évolué sur le plan social, on a envie de mettre le corps au centre de nos réflexions. La question de la chaire est traditionnellement niée, voire jugée péjorativement, notamment en Occident. Il est important de pouvoir se réapproprier son corps, d’en prendre soin. L’album parle beaucoup de mes expériences vécues avec mon propre corps, ce qui lui est arrivé, et ce que j’en ai fait. »
Passer d’un duo électronique à cette hydre à quatre têtes, ii a tout fait exploser : le son est plus large, plus vivant, plus dangereux. Le sexe n’est plus tabou, le corps n’est plus honteux, la douleur n’est plus punition : tout est matière à transcendance. ii trace sa propre route, quelque part entre film d’horreur nordique et manga gothique.
Les mélodies sont hypnotiques, ancestrales et modernes à la fois. Le chant d'Hélène Ruzic, haut et prenant, vous guide et tranche le tumulte, tout en gardant sa pureté.
Apostles of the Flesh ne laisse personne intact. Il vous prend, vous retourne, vous brûle. Et quand la dernière note s’éteint, vous avez encore le goût du sang et des cendres sur la langue.
Benjamin rappelle : « Faites attention à votre corps, prenez-en soin, donnez-vous le droit d’explorer votre sexualité de façon saine et éclairée… Et si notre musique peut vous aider dans ce voyage alors ce sera le plus beau des compliments ! ».
Xavier

Photo ii © Benjamin Racine